jeudi 28 mars 2013

Rencontre avec Samuel Lesueur, président et fondateur de l'Electrolab, à Nanterre.











Samuel, peux-tu nous parler un peu de toi et nous présenter l'Electrolab ?

Je suis Samuel Lesueur, Fondateur et actuel président de l'Electrolab. J'ai suivi un parcours relativement classique (DUT puis école d'ingénieur) ponctué par des participations à la coupe de France de robotique et de nombreux projets personnels.

Lorsque j'ai commencé l'aventure Electrolab, il y avait plusieurs hackerspaces en activité dans la région parisienne : La Suite Logique, le /tmp/lab et la Blackboxe. Ces 3 hackerspaces étaient plutôt orientés informatique, ce qui ne me convenait pas vraiment étant donné ma passion pour l'électronique. Le /tmp/lab était parfois fois le lieu de travaux sur quelques projets électroniques mais il est installé à Vitry ce qui me faisait beaucoup de route.

À force d'y penser, je finis par me dire que le mieux serait de monter un hackerspace orienté électronique et mécanique près de chez moi. L'ennui de ce genre de structure, c'est que contrairement à ceux qui ne veulent faire que de l'informatique, il faut un local pérenne pour pouvoir installer les machines, stocker les composants et travailler dans de bonnes conditions. Du coup, il était hors de question de monter l'Electrolab dans un lieu où notre présence ne serait que tacite ou tolérée comme les autres hackerspaces de l'époque. Je me suis alors mis à la recherche d'un local pouvant accueillir l'association. Au bout d'environs 6 mois je me fais prêter un local industriel pollué et inutilisable pour son propriétaire. En échange de la remise en état du local, on me laisse y installer une association pendant plusieurs années : le plus dur est fait ! Je crée alors le site web http://www.electrolab.fr et commence à parler de mon local à la communauté via diverses mailing lists. Le résultat ne se fait pas attendre : à la première ouverture du local, 15 personnes de 19 à 65 ans ont fait le déplacement. Une association est montée quelques mois plus tard et les travaux peuvent commencer.

Pendant les deux ans qui suivirent, plus de 150 personnes différentes se succèdent aux week-end de travaux, qui permettent d'aménager le local et de transformer un vieux sous sol pollué en un vrai laboratoire pluridisciplinaire de qualité acceptable. Électronique, mécanique, physique, chimie... il y en a pour tous les goûts et toutes les envies.

Entre temps, les autres hackerspaces ont évolué également et plusieurs ont tristement disparu. De ce fait, l'Électrolab est maintenant l'un des plus gros hackerspace de la région parisienne. Ce n'était pas du tout notre objectif initial... Nous voulions marquer notre différence, tout en soutenant l’existence de structures ayant un fonctionnement différent du notre et non les voir fermer l'une après l'autre. Heureusement, depuis un an environ, on assiste à la naissance d'autres endroits qui abordent un peu le même esprit que nous (hacker autre chose que de l'informatique). On peut citer notamment le Tetalab à Toulouse (2009), le Technistub en Alsace (2012), le NWBI à Nancy (2010) ou encore le FacLab à Gennevilliers (2012).






Quelle est la différence entre un Hackerspace, un FabLab et un TechShop ?

En premier, un petit rappel sur ce qu'est un hacker : Un hacker est quelqu'un qui partage de manière non marchande ses connaissances et projets et les met à disposition de tous sur la toile en utilisant des licences libres. Les licences libres sont les licences qui permettent à tout le monde de réutiliser le travail des autres et de participer aux projets (comme Linux ou Wikipedia). Il se trouve que le mot "hacker" a une connotation négative puisque c'est ainsi que sont nommés - notamment dans les films produits à Hollywood – les pirates informatiques qui ont des activités illégales sur le net. Ainsi, bon nombre de personnes ont tendance à confondre ces deux mondes et à mettre tout le monde dans le même panier. A l'Electrolab, nous utilisons également l'informatique, car elle permet par exemple d'animer des robots, d'apporter des fonctionnalités supplémentaires à des équipements anciens, mais ce n'est qu'un outil parmi d'autres et nous l'utilisons à bon escient.

Pour revenir à la question, la principale différence entre les trois termes réside dans le mode de fonctionnement des structures :

Un Fab lab est un endroit qui rassemble les outils et matériaux permettant à chacun de venir faire réaliser des projets concrets. Ils sont équipés de machines neuves achetées à prix fort et proposent souvent
un service payant et un ou plusieurs permanents qui utiliseront les machines sur place pour réaliser les pièces nécessaires aux projets des membres / visiteurs. Ainsi ces derniers peuvent se concentrer sur l'aspect créatif, puisque la réalisation des pièces est déléguée au personnel de la structure. Ce type de
service convient particulièrement aux personnes ayant une sensibilité artistique mais aussi aux designers.

Les Tech shop sont en fait des entreprises qui ont un business-model proche de celui des Fab lab mais qui ont des objectifs de rentabilité et peuvent se permettre d'acheter des machines extrêmement performantes. De ce fait, leur public comporte également des entreprises en mal de R&D.

Un hackerspace (tel que l'Electrolab) est un lieu un peu mixte qui va essayer de posséder des machines similaires à celles des fablab mais en les fabriquant / réparant ou en détournant des outils de leur usage premier. Les deux maîtres mots d'un hackerspace sont DIY (fais le toi même) et Open source (partage de manière non marchande avec la communauté). C'est donc un lieu qui va aider ses membres à acquérir les compétences nécessaires à l'utilisation des machines et à la réalisation de leur projet. Le but premier étant que ce soit le membre qui "apprenne à se débrouiller" pour arriver à ses objectifs. De ce fait, il sera encadré, aidé, conseillé mais c'est lui qui agit et construit en toute autonomie. A terme, il aura la fierté d'avoir mené son projet jusqu'au bout et sera encouragé à le partager avec la communauté. On se rend bien compte que cette définition est bien loin du triste stéréotype de repaire de pirates en train d'attaquer le FBI ou dupliquer des cartes bleues !


Qui sont les fondateurs d'un hackerspace ?
Ça dépend. Dans le cas de l'Electrolab, c'est une équipe de jeunes passionnés avec une motivation extrême, parce que monter un lieu comme le notre prend un temps dingue et une énergie folle !

Dans quel type d'endroit s'installe un hackerspace ? (lieux privés, municipaux, squats, ...) 
Les hackerspaces qui ne font que de l'informatique s'installent souvent dans des squats car ils n'ont pas de besoins particuliers en terme d'organisation de l'espace. En revanche, un fablab a besoin d'énormément de place pour pouvoir installer convenablement les outils et machines dont il dispose.

Dans le cas de l'Electrolab, nous avons fait le choix de tout faire dans les règles de l'art. Nous avons trouvé un industriel qui nous a prêté un bout de local, nous l'avons rénové, nous l'avons assuré et sécurisé de manière à pouvoir nous y installer avec nos machines et nos outils. C'est beaucoup de boulot mais maintenant c'est notre lieu, il est construit tel qu'on le veut, tel qu'on en a besoin. On peut difficilement rêver mieux !




Essayez-vous de faire connaître le lieu ou bien de conserver une certaine discrétion par rapport à votre activité ? Est-ce que sa fréquentation augmente ?

Oui, nous essayons de faire connaître le lieu car nous pensons que les sciences et techniques méritent d'être enseignées et partagées, surtout de manière non marchande comme c'est le cas chez nous.
Nous sommes intimement persuadés que tout le monde a quelque chose à apporter à une structure telle que la notre. Que les personnes dont le parcours "non technique" ferait hésiter à venir nous voir se rassurent : nous avons besoin de toutes les bonnes volontés disponibles pour participer à la vie de l'association et du local, aux opérations "coup de poing" organisée par le conseil d'administration ainsi qu'aux projets du lab dont beaucoup de volets ne demandent pas de compétences particulières. C'est justement en participant qu'on se familiarise avec de nouvelles techniques et que l'on acquiert de nouvelles compétences tout en partageant les siennes.

La fréquentation du lieu augmente sans cesse, nous sommes en train de réfléchir à ouvrir le lab trois soirs par semaine au lieu de deux pour que tout le monde puisse venir sans qu'on ne se marche trop dessus.

Nous recevons tellement de demandes de visites que nous sommes obligés de ne pas diffuser l'adresse physique du local pour ne pas étouffer sous l'affluence de nouveaux visiteurs. Nous avons fait le choix de prendre le temps de recevoir chacun comme il se doit, de présenter à chaque fois le lieu et son fonctionnement ainsi que les règles de sécurité et nous sommes donc obligés de contrôler le flux de nouveaux arrivants via une liste d'attente.

Actuellement, nous accueillons cinq visiteurs chaque mardi soir et en moyenne on compte 3 nouvelles adhésions par semaine !


Tous les hackerspaces se structurent-ils autour des mêmes valeurs ? Quelles sont-elles ?

Les hackers se réunissent autour des 4 libertés fondamentales du logiciel libre à savoir :

* La liberté d'utiliser le projet, pour tous les usages.
* La liberté de redistribuer des copies,
* La liberté d'étudier le fonctionnement du projet, et de le modifier à volonté
* La liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées

Ensuite, chacun applique cette définition comme il le souhaite. Nous par exemple, prônons en plus le DIY à savoir le "faites le vous mêmes". Qui pousse les gens à comprendre comment fonctionnent les appareils qui les entourent, à les utiliser plus intelligemment et donc à avoir une consommation plus réfléchie.

Par exemple, pour équiper l'électrolab, nous avons passé un nombre d'heures considérable à remettre en état des appareils de mesure et machines outils provenant des rebuts de laboratoires et d'universités. Nous l'avons fait de manière a pouvoir s'équiper avec un budget extrêmement limité tout en comprenant le fonctionnement du matériel pour pouvoir en assurer la maintenance. En invitant nos membres à participer de la sorte à l'aménagement du lieu et à la maintenance des appareils, nous permettons à tous de prendre part à la vie du local et de son équipement tout en maintenant la cotisation à son stricte minimum. Inutile toutefois de nous apporter votre frigo ou lave linge en panne, nous avons bien plus intéressant à faire au lab que de réparer de l'électroménager.

Quel est le statut juridique d'un hackerspace ? Peut-on y entrer librement? 

Notre hackerspace prend également la forme d'une association loi 1901. Ceci permet de nous donner un cadre légal et d'avoir une certaine légitimité vis à vis des autres institutions. Tout le monde peut adhérer à notre association, pour seulement 15 euros par mois (7.50 pour les étudiants/chômeurs) ce qui fait de nous l'un des hackerspaces le moins cher d'Europe.


Que se passe-t-il dans un hackerspace? Qu'y construit-on? Les activités sont-elles exclusivement centrées sur les technologies et l'informatique?

À l 'électrolab, nous essayons se faire rencontrer des gens différents autour de projets variés. C'est de ce brassage technico-culturel que naît l'innovation qui nous intéresse tant. Les projets sont tous différents : de la robe de mariée lumineuse à la voiture électrique, en passant par des robots, des vélos, des drones, des systèmes à ultra vide, des centaines de petits montages qui bougent et qui clignotent... Chacun y trouve son compte parce qu'il peut se donner à fond sur un sujet qui l'intéresse.




A quoi ressemble un projet du début à la fin ? Quels sont les moyens matériels et financiers mis en œuvre ? Du matériel est-il mis à disposition ?

Il faut différencier deux types de projets : les projets personnels des membres qui sont réalisés au moins en partie au lab en se servant des équipements disponible sur place. Il y a peu de contraintes particulières autres que celles d'éviter les projets dangereux ou illicites : chacun construit ou modifie ce que bon lui semble et sera ensuite fortement invité à partager son travail avec la communauté. D'un autre coté les "projets du lab" sont votés par les membres du conseil d'administration puis financés avec les fonds de l'association. Il s'agit soit de projets vitrine répondant à certains critères de qualité et de technicité soit de projets utiles pour le laboratoire comme par exemple les projets de réhabilitation d'équipements. Conformément à la philosophie de l'association, ces projets sont forcément intégralement sous licence open source et correctement documentés sur notre wiki.

Doit-on avoir un savoir-faire particulier pour se joindre à un projet ou bien on peut l'acquérir au travers de l'auto-formation et du partage de savoirs ?
Tout le monde peut rejoindre un hackerspace. Il suffit de vouloir apprendre et partager ;) Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues, les compétences viendront d'elles même au contact des autres... chacun a forcément quelque chose à partager! Quand ce ne sont pas des compétences techniques, certains amènent des talents artistiques ou simplement leur motivation et bonne humeur.

Quelle est la position de la France par rapport au reste du monde ? Le nombre de hackerspaces est-il en augmentation ?

Le nombre de hackerspaces est en constante augmentation mais la France reste en retard par rapport à nos voisins européens.

Est-ce que le monde professionnel/industriel s'intéresse aux projets et résultats obtenus dans le hackerspace ? Des professionnels/industriels sont-ils déjà venu à votre rencontre en recherche d'un savoir-faire particulier ?

Nous avons effectivement eu plusieurs propositions que nous avons refusées. En effet, nous ne cherchons pas à faire de la sous-traitance pour des entreprises. Le but du labo est avant tout de travailler la nuit sur des projets qui nous amusent et nous passionnent sans avoir forcément d'objectif de rentabilité ni de contraintes professionnelles comme nous pouvons en avoir dans nos emplois respectifs la journée. L'Electrolab reste avant tout un « centre de loisir technique » et non le siège d'une activité professionnelle. En revanche, d'autres industriels ont bien compris que nous avions monté un vivier associatif composé principalement de personnes extrêmement motivées et dynamiques et nous envoient régulièrement des offres d'emploi pour des postes techniques difficiles à pourvoir par les moyens de recrutement classiques.

Nous ne comptons pas que notre hackerspace soit industrialisé. Nous échangeons en bonne intelligence avec les autres entreprises qui louent les locaux avoisinant mais nous avons toujours refusé de travailler pour un industriel. En effet, le caractère associatif de la structure et le bénévolat de nos membres ne nous permettent pas de nous engager fermement à obtenir un résultat et/ou à suivre des délais précis ce qui est peu compatible avec les contraintes des industriels. Enfin, si au détour des rencontres qui ont lieu au laboratoire des membres décident de créer une startup sur un projet précis nous les encouragerons et les aiderons comme on le ferait pour n'importe quel autre projet personnel. Les autres hackerspaces que je connais n'ont tout simplement aucun contact avec l'industrie.




Pourquoi les ingénieurs se retrouvent-ils dans les hackerspaces ? L'industrie devient-elle étouffante ? Manque-t-elle de créativité ? Est-ce cela que les ingénieurs viennent chercher dans les hackerspaces ?

La situation de l'industrie Française est tristement catastrophique. Nous qui surveillons de très près les ventes aux enchères suite aux faillites d'entreprises, sommes à chaque fois consternés par le gâchis de matériel, de moyens de productions et par la perte de compétences et savoir faire indispensables.

Il y a de moins en moins d'entreprises qui conçoivent leurs produits et mettent un point d'honneur à les produire eux même. L'appel de la sous traitance est tellement fort qu'au final, bon nombre d'usines et de labos de recherche et développement sont fermés au profit de bâtiments entiers remplis de personnes spéculant sur des crédits à la consommation ou des assurances en tout genre et qui au final n'apportent aucune valeur ajoutée au produit. Seules quelques irréductibles entreprises persistent à investir dans des services de recherche et développement conséquent, à vouloir continuer de concevoir et maîtriser la production de leurs produits de A à Z... Il est amusant de constater que ces mêmes entreprises ne sont peu ou pas affectées par la crise financière qui fait tant de ravages en ce moment. Coïncidence ? Je ne pense pas !

Comment en 2013 peut on fermer tôleries, aciéries, entreprises de conception / d'assemblage de cartes électroniques, fabricants de machines outils, etc. alors que nous avons besoin de maîtriser ces techniques de base pour pouvoir concevoir les produits de demain ?

Comment en 2013 les enseignements techniques peuvent ils être si impopulaires aux yeux des nouvelles générations alors que c'est justement maintenant que nous avons le plus besoin de la technologie pour vivre ?

Il semblerait que la tendance soit enfin en train de vouloir s'inverser, mais au vu des mentalités actuelles, nous pensons que cela ne se fera pas sans un "Troisième lieu" qui n'est ni le foyer ni le lieu de travail mais un lieu de partage et d'innovation. Hackerspace ? Laboratoire d'initiative populaire ? Pépinière d'entreprise ? Finalement, peu importe le nom, ce qu'il faut c'est faire émerger ces lieux tiers dans les quels les start up de demain peuvent bourgeonner en mettant autre chose en commun que des photocopieurs et des open-spaces. Ces lieux permettraient à des gens différents de se rencontrer, de confronter leurs envies, leurs projets, leurs cultures (technologique et industrielle), et c'est de là que naîtront idées nouvelles et projets de startup. Enfin, ils permettront également de développer un concept et les premiers prototypes au sein d'un laboratoire pluridisciplinaire qui resterait ouvert tard dans la nuit...

Nous n'avons bien entendu ni la vocation ni la légitimité pour proposer des solutions visant à relancer l'industrie Française. Nous décelons simplement l'existence d'un fossé de plus en plus vaste entre les objets du quotidien et la compréhension de leur fonctionnement qu'en ont leurs utilisateurs. L'Electrolab contribue à son échelle, à démystifier un tant soit peu les sciences et techniques. C'est peut-être en faisant une utilisation créative et ludique de cette technologie que l'on arrivera à (re)donner envie aux jeunes de se lancer dans ces métiers, qui restent d'actualité et dont notre industrie a tellement besoin.

Enfin, et pour répondre à la question, je pense que les ingénieurs viennent chercher la même chose que les personnes d'autres professions : un endroit sympathique ou chaque projet sera mis en valeur et pourra être partagé avec la communauté tout en travaillant de bonnes conditions d'équipement et de sécurité.

Y'a-t-il des gens qui essayent d'enrayer ce genre de structure, des gens que ça dérange?

Pas que je sache, pour l'instant, les fablabs et hackerspaces sont à la mode, profitons-en ;)

Un mot de fin, quelque chose à crier sur les toits ou sur la toile ?

Soyez curieux ! Intéressez vous au monde qui vous entoure ! Cessez d'être uniquement consommateurs, devenez acteurs ! Sortez de cet espèce de moyen âge technologique que vous vous complaisez à entretenir. Utiliser des appareils sympa c'est une chose, les comprendre, les maîtriser, les modifier, les améliorer, les réparer en est une autre. Regardez autour de vous et demandez-vous si vous savez comment fonctionnent les choses qui vous entourent et non pas seulement si vous savez les utiliser. L'électronique et l'informatique ça n'a rien de magique, il suffit de s'y mettre, de franchir le pas ... et les hackerspaces sont aussi là pour ça !



- Coping, 2012 -

samedi 23 février 2013


Interview W/ Terra Tenebrosa (2012)






Terra Tenebrosa is a “young” band that comes from Sweden. Young, because it only exists since a bit more than a year and it doesn’t really had time to make speak about him in a formal way. The band just spread a thick mysterious mist on the midst of loud and extreme music with a first LP, totally disconcerting and devastating, “The Tunnels”. The mystery comes mostly from the fact that the band is devoid from a real identity. Its members, who are three, incarnate into masked characters progressing into a distant and imaginary world which seems to belong only to them, with its own atmosphere, its own references, its mythology and mainly its own darkness, unfathomable and infinitely cold.
But the band is not that young in a certain way. A breach didn’t take much time to appear on the surface of their wall of secret. From The Cuckoo, Hibernal and Risperdal, the three avatars who initiated this unearthly act that Terra Tenebrosa, two guys used to belong to the blast that once was Breach and which started to ignite the senses of a few risky minds almost twenty years ago. Breach is dead now but the fire is still burning.
The obstinacy and the virulence of Terra Tenebrosa take all its sense as soon as you know this. The inheritance is hefty…


  1. Now that the information has crossed the internet like the lightning, I allow myself to speak about it: does the fact that you hid your identity behind masks and pseudonyms reveal a wish to prevent any link or comparison with Breach? How do you consider the fact that people end up, anyway, to make this parallel between the two bands? Personally, I wouldn’t have made the link spontaneously, by listening, but when I have been informed of it, I’ve had the impression of hearing a nightmarish and botched version of the band, a resigned Breach, full of disgust and with its rage lost for despair. But under no circumstances I think that the band turns out to be unchained to its heritage or disadvantaged by its past; you can recognize the hand which creates the music but the inspiration is totally innovative and fresh to me.
A: The connection to Breach was no secret. The record company wanted to out the connection to trigger interest. I just felt that I didn´t want anyone to have any preconceptions about the project. If people were to know of all bands we´ve been involved with they might have expectations about what we would sound like. If people think they´re going to get a continuation of what Breach was doing they will be disappointed. I have seen some stupid comments on the internet like “where´s the Breach-sound??” . I wrote and I played the guitar in Breach so of course there might be some similarities but this is not Breach. That is the kind of thing I wanted to avoid but had we had a completely blank history maybe we wouldn´t have gotten the attention we now had.




  1. Terra Tenebrosa seems to be full of references, like a kind of marginal cult, a hybrid religion, made out of elements gleaned here and there in your subconscious or your personal culture. The name of the band, of the album, the title of the songs, the sampled voices, the evocation of an unknown language through misshapen words, the masks, your pseudonyms, the album art and all the imagery around the band, where does all this comes from? Is there a link between all these elements, a consistency to this enigmatic whole?
A: The name Terra Tenebrosa I picked from a book on Dr Faustus, apparently a part of hell but in my mind a reflection of the world we live in, a dark place full of miseries and torment. Also it kind of suggests the other side, the world behind the backdrops, a dark world as it is obscure, a world where spirits and ghosts dwell. The Tunnels is the tunnels of our own mind, those dark places deep down in our subconscious where one might find both beautiful treasures and unpleasant things, tunnels you have to travel through in order to evolve into perfection, the compressing of the soul into a diamond. The mask I wear is a mimicry of a creature I have seen in dreams and visions. I don’t know if it is something outside of my mind or something moving through those tunnels or even some archetype out of the collective unconscious but I have seen it ever since I was a child. Everytime I had the fevers as a child I had the same dream and in that dream I saw that creature. I have seen it in visions induced by psychoactives or meditation and I see it in dreams. I chose the name The Cuckoo because of a creature in the Sandman series that haunts peoples dreams and also because the name usually denotes someone who doesn’t really fit into the molds dictaded by a conformist society. Can’t say much about the cover. I was clear on that I wanted it to depict nature and no man made structures, nature as in the untamed, the obscure and the spiritual. But the idea about the horn became so far-fetched I don’t even know how to begin to explain it.



  1. Do you recognize yourself a kinship with other bands? You manage to sublimate your influences into something formless and unfathomable, something far richer and more complex than a simple musical style or membership so that any attempt to append a label on you seems futile. However, while listening to you I thought of Blut Aus Nord, Swans, Deathspell Omega, Maninkari. Are they bands that you might listen to or that you know?
A: We never set out to play a certain style or sound like a specific band. The only thing I was certain of was that I wanted it to be dark, dramatic and meditative. It began with me just fooling around with old ideas not knowing in what direction they would take me. I experimented a lot and when I felt I was onto something each song gave birth to the next. At the beginning I didn´t even know in what genre I would end up. The only criteria was that I had to find it exciting. The dark and dramatic mood I wanted to present is easier done with distorted guitars and that is probably the biggest reason we ended up in the “metal” genre.
When I listen to Terra Tenebrosa I hear traces of bands like Radiohead and Sonic Youth. I guess its just a blend of everything I ever listened to mixed with all the emotions stirred up while gazing into the dark.



  1. This difficulty to categorize you is part of the disturbing and confusing nature of your music. Difficult to know who you are, where your sound comes from, what its purpose, its message, and its real direction are. I find this very marginal. It seems to me that you have made ​​a huge leap beyond the hardcore / metal scene and that you’re evolving lonely, in very remote areas, on the edge of avant-garde and abstract music. Do you preserve your subterranean existence, or is it the logical consequence of your enigmatic nature? Do you know who listens to your music? Are you looking to reach a specific audience or you don’t worry about it and you just let things develop without controlling them? Don’t you have acquired a form of elitism by this action? Don’t you think that your audience turns out to be very specific and reduced?
A: A lot of experimentation led to a track that in turn gave birth to the next and all of a sudden the project took on a life on its own. It kind of opened a door to a different musical landscape than what I´m used to and that´s really exciting for me. Now my head is flooding with ideas. I have already begun writing stuff for a third album and I myself don’t know in what direction the music will take us so no, we are not looking to reach a specific audience.







  1. Has “The Tunnels” been composed of a draft, as a basic precise and defined idea, or has it been built up gradually, with no real logical order? How do you work, how does the composition process operates? Do you have a studio where you can experiment and manipulate sounds? Did you record the album by yourselves?
A: As I said before, each track recorded gave birth to the next and when we had enough material to put together a full-length I wanted to create a conceptual feel, that each track connected to the next, so the listener would be taken on a pathworking of sorts instead of just making an album which collects the best tracks recorded. We recorded stuff that really didn´t fit The Tunnels but instead becomes the core-songs of the new album.
We have our own studio where we have time to record fragments and experiment whenever we feel like. The composition process vary. Sometimes I hear something in my head I work with, a line from a book or whatever thoughts surfacing while meditating can invoke a feeling I try to translate into music. Initially I work alone so that I can present a clear picture of what it is Im after for the others and whatever ideas they might come up with is filtered through me.
Everything up until the mastering we did by ourselves.



  1. The production is much elaborated, full of details, both dirty and very precise. The sound of the toms, snare drums are monstrous yet they are drowned in reverb and all the mess surrounding. Ditto for the guitars. The samples do not eat up the instruments. It must have been very long and tedious. Has it been difficult for you to get the result you wanted? Did you have a prior idea of how the album should be mixed, how the samples would overlap with the sounds, the keyboards, the guitars, etc.? Did you do it by groping and experimenting? Were you involved in the mixing process or you just entrust the recording to someone who you trusted enough not to have a hand on it?
A: It was a lot of trial and error in getting the results wanted but at the same time while experimenting old ideas gave place to new ones, so while we started working on a song with a result in mind, somewhere along the line we were aiming for something different. Also a lot of the samples and keyboards were laid down while trying to put together a homogenous album, trying to tie the songs to each other.



  1. How much contingency is there in Terra Tenebrosa? Is all controlled from A to Z, from the composition to the sounds of instruments and also the mixing process, fortuity also interfered with this project?
A: I have a firm grasp in mind of what Terra Tenebrosa is, but its not anything I can describe in words, only through the pictures and the music, if I could describe it in words I might have written a book instead. I have to feel the essence of Terra Tenebrosa while writing or recording even though I don’t know what it is, if I don’t I discard ideas even though they´re good songs, just not for Terra Tenebrosa.



  1. It takes a lot of intelligence, humility and work to help achieve something as transcendental, subversive and powerful. Your investment must have been total ... How did the production of this album take place and what place Terra Tenebrosa took in your personal lives during this time?
A: The album was recorded in periods and if it wasn´t I might have gone truly insane in the process. Whenever I´m doing something, whatever it is, I get totally consumed by it and so it was while doing this album. While the other guys were only involved in laying down their parts I was stuck with the songs until I thought they were finished, laying down guitarparts, keyboards, samples, vocals or just doing a hundred different mixes. I´m a perfectionist even though it might not sound like it while listening to the results. There was a lot of sleepless nights, a lot of self-neglect and, unfortunately, I also neglected my family, because I get so consumed by the work I also let those emotions and thoughts I try to translate into music get to me.





  1. Are there “defined” ideas in Terra Tenebrosa? Does the music means something special, does it have an implicit message, or is it an abstract tangle of images and blurred thoughts, a chaotic expression of undefined feelings that you can interpret and feel to your own measure?
A: I think you pinpointed it with “abstract tangle of images and blurred thoughts”. Like I said before, I know what Terra Tenebrosa is, I just cant express it in words. I know it sounds really pretensious but that’s the way it is. If I had the words to describe it I might have written a book instead. Or started a sect. The only thing I really can say is that most of the songs revolves around the exploration of the soul and psyche.




  1. Apart from "Through the eyes of the Maninkari", which I find very emotional and carrying certain sadness, “The Tunnels” contains very little melodies and parts letting out sensitivity but lot of violence and noise. Yet the melodies are everywhere but they are like "sabotaged". Anything that evokes a feeling, something understandable and a bit human is muffled by the layers of synth, the voice samples and all the distortion tracks, as if these feelings were intentionally hidden, covered by a monolith of impassivity, stifled by a cottony cacophony that paralyzes them and prevents them to exist. The choice not to put vocals on music, hide your faces, to distort and pitch the voices participates to a desire to erase all traces of human in your music to let out only monsters? Do you consider your music as nihilistic? Is it the reflect of a negative and pessimistic way of considering life in general?
A: The masks is really just an extension of the music. The visual aspect is as important as the music in this project. We could have lined up in jeans and t-shirts looking bleak but I wanted to create physical representations of the emotions conjured up in the music. It is true with the visuals that I wanted to erase the human traces. Instead I wanted something archetypical representing the music, creatures out of the depths of the soul or manifestations of the chaotic nature.
I think Terra Tenebrosa is a very spiritual project. It goes hand in hand with my magickal outlook on life. Humanity in its present form fills me with disgust but I think there is a higher meaning. Im not looking to change the world. Of course I get sad, angry, frustrated and what not while reading the papers and watching the news, but I don’t think there is much we can do about. We can ease the pain but we cannot cure the disease. The materialistic outlook in man is too great. We are on a crash course and soon we have reached the end of the line. Its not the end of the world, I think we´re about to take the next step on the evolutionary ladder



  1. You are definitely a band that doesn’t make concessions, a cat among the pigeons that’s sacking right-thinking culture and sterile bland modern music, corroded by the market and fashion. The sound is "dirty", the music is disturbing. There are very few bands left that are really free, evolving away from their influences, who don’t care about pleasing, being recognized, appreciated by the majority and who don’t sell themselves as products. You let the time to music to evolve and settle down atmospheres. The listener must wait and make himself violence to understand this music and to get into it. How does it feel to sacrifice your time, your money, your energy, your family, maybe your mind and your mood, to spend so much time to produce something, to put everything you have inside you only to get very little recognition as your music is not very “accessible” and not to be able to earn money from it? Are you getting earnings from Terra tenebrosa?
A: I dont do this for the money, I´ve never been in any band that could make a living out of the music. After Breach did the reunion I thought I would never pick up playing again. So much time and effort was put into those two hours on stage and afterwards nothing. But not playing became like an itch, becoming worse and worse, until I started recording some stuff I had in the back of my mind, stuff that ended up on The Tunnels, and I felt so relieved while doing so. Even though I sometimes feel overpowered by negative emotions due to recording these songs it is something that in the end gives me great pleasure and it is something I have to do. I cant stop making music and if I dont document it my mind will shortsync itself. And being acknowleged for it also makes up for a lot of the pains. I dont even think I could stand making a living out of music. At least for me it would kill a lot of the creativity, having to come up with something in order to make money.



  1. I guess that many people don’t understand your music. Do you sometimes feel obliged to justify yourself about it?  I am thinking about your family. Do you have children? Have they ever listened to The Tunnels?
A:   I really dont care what people think of the music. Terra Tenebrosa comes from the heart of my soul and I cant compromise with that. I was quite amazed that it was recieved as well as it was. My kid only cares about Lightning McQueen







  1. What role does music play in your lives today? How is it possible to still go to work, to have beliefs, convictions, and dreams when you have spent so much time composing a real plea for chaos, monstrosity, misery, madness? In the same way that a band like Khanate, who is on your label, Trust No One Recordings, who constantly plays with the most unhealthy ideas, how can you set apart all that fills your music to get back to the everyday life and be around people, have responsibilities, duties, etc.. ? Can music turn out to be a threat for your mental and social life or on the contrary, it's a way to get your defects and failures out of yourselves, into a harmless form that you can control?
A: Music I guess is what keeps me balanced or sane, its a platform where I can lay out parts of myself and construct something that makes sense. While working on Tunnels for instance I feel I have been working on myself equally as much as I have been working on the music. Almost like an alchemical process. And I think also that Terra Tenebrosa becomes like a cleansing because I pour so much emotion into it its almost like I dump portions of the darkness I carry inside into the music. Even though it sometimes kills me, if I for instance get stuck with a song and I cant get it right, I have to stay in that dark place until I do.
And the ideas with the masks and the made-up names enables me to draw a distinct line between Terra Tenebrosa and my everyday self. Whenever I feel an idea starting to crave attention I can go into “Terra Tenebrosa-mode” and work with it and when satisfied I can “shut The Cuckoo off” and go play with my kid.



  1. Are you involved in other projects than Terra Tenebrosa, whether it’s music or not?
A: ) No. I wish I had the time to write but I don’t with a full time job, a kid and Terra Tenebrosa.


  1. I read that you wanted to take Terra tenebrosa to the stage. Some bands like Blut Aus Nord have chosen not to play live because they want their music to stay a lonely experience, where every detail and every roughness can be appreciated, understood, and not to betray the production. Other bands, notably black metal, do not play on stage because it is technically too complicated to reproduce their music live. How do you intend to restore the depth and thickness of the atmosphere of “The Tunnels” on stage? Do you want to make the live something different, with another intention and another effect on the audience or do you want at any costs to preserve the atmosphere of the recording? How do you plan to handle the instruments, synth, sampler, drums, guitar, bass, vocals and all the effects? Will you have to involve other persons in the project? Do you plan to work the visual aspect of the live? (masks, costumes, lighting, installations, projections, ...) Do you think about bands with whom to tour? A band of your label maybe? Do you have an idea of the routing of your hypothetical tour? Will we have the chance to see you in France?
A: We cant do the music live as it sounds on record. It will be something different but still Terra Tenebrosa. Like with The Tunnels I wanted the album to be meditative. Picturing a live show with Terra Tenebrosa I want it to be the opposite of meditative. We could use backing tracks and stuff like that but I dont really like those things. If you want it to sound like it does on record just stay home listen to it. A live show would be more of a visual presentation with music to accompany it. I dont know how many people we will have to involve. We have started to rehearse for the stage and as for know we are four people.
The masks I made for the photos I made in papier maiche, not very suitable for the stage. I hade a friend of mine make a Cuckoos mask in latex for me and the other guys will have some other designs.
About bands to go on tour with I havent given it that much thought and as for a route, France would be nice. Maybe Germany.



  1. What’s up with your second album? You announced a few months ago that it was already recorded, have you started to mix it or to master it? Can you tell us in how many time we’ll be able to hear it? How does your music evolves, is it the same intent as "The Tunnels" or you headed to something different? Do you have the name of the album?
A: The new album is mixed. The only work left is mastering it and the photos. Hopefully it will be released this fall.
Our intent with The Tunnels was that it would be meditative so it is a very monotonous record and I think we took that as far as we could or wanted to anyway. I think the new album is a lot dirtier than The Tunnels and maybe theres less of that “post” stuff. Dont know really because the new album and The Tunnels kind of gets entangled for me. Cant say where The Tunnels end and the new album starts.
We have a title for the album but I dont want to give it away yet.










-Coping 2012-










Rencontre avec Cyril Bouysse, anciennement professeur de musique au conservatoire de Tulle, acteur de la vie politique et culturelle locale, ami et constructeur d'instruments de musique.










Depuis quand construis-tu des amplis?
Comment en es-tu venu à en construire toi-même? (besoin pratique, volonté d'apprentissage, plaisir de faire soi-même, démarche politique... ?)



En fait ça fait suite à une idée un peu folle de construire une guitare électrique. Vers l’âge de 17 ans, j’ai commencé à chercher des infos sur comment construire la copie d’une guitare de luthier que je trouvais magnifique mais qui m’était totalement inabordable : 30 000 francs ! (pour référence, le SMIC devait être à 4 400 F nets par mois à l’époque). Je me suis mis à en parler à des copains, des proches, et tout le monde s’est gentiment foutu de moi. J’ai mis deux ans à la construire, en essayant de respecter les « règles de l’art » que j’apprenais peu à peu, et j’y suis arrivé.

Ensuite, vers 1996, comme j’avais pris goût à ces défis de construction, j’ai trouvé que ce serait sympa de faire un ampli. Je me suis donc mis en quête d’informations sur l’amplification à lampes, une technologie ancienne, mais qui représentait (et représente toujours) le Saint Graal de l’amplification guitare. J’avais envie de savoir comment tout ça fonctionnait, de maîtriser toute la chaîne du son, et surtout d’avoir du matériel haut de gamme à moindre frais. Depuis, je continue à fabriquer des instruments de musique électroniques, amplis, effets, guitares. Et oui, un ampli est un instrument de musique !

Je dois dire que j’ai toujours voulu faire du mieux que possible. Pour ma guitare, j’avais choisi les meilleurs composants, des matériaux nobles, pour ne faire aucune concession à la qualité. C’est une démarche assez kamikaze, car ça représentait quand même beaucoup d’argent et je n’avais pas le droit à l’erreur. C’est pour cela que j’ai mis du temps à la réalisation. Pour mes amplis, j’ai suivi la même méthode avec cependant un peu plus de recul.
Je ne pouvais pas concevoir ce qui apparaît pourtant comme une démarche logique et beaucoup plus saine : commencer à bidouiller des morceaux de bois sans grande valeur dans un coin en se trompant, en recommençant, etc… Mais je ne conseillerais à personne de suivre ma démarche. L’empirisme reste toujours la meilleure école.



Quelle sensation cela procure-t-il de jouer sur du matériel que tu as construit toi-même?



Ah… question complexe dans mon cas. « Allongez vous, nous allons en parler… »
Quand j’ai construit ma première guitare, je pensais que ça allait être le pied de jouer avec un instrument que j’aurai fabriqué. Et à l’utilisation, il s’est avéré que je préférais jouer sur de vieilles guitares de série. C’est un peu comme si je connaissais trop les guitares que j’ai fabriquées, et je n’ai pas la sensation de recherche sensorielle que je peux avoir avec une guitare que je ne connais pas, et spécialement avec les vieux instruments qui ont chacun une histoire et un toucher différent. Mais c’est peut-être uniquement dans ma tête…
Pour mes amplis et effets, il y a moins ce côté physique, et ça fonctionne mieux. Je préfère vraiment jouer sur mon matériel, car tout simplement je n’en trouve pas d’autre qui me donne ce que j’attends. Et c’est bien pour cela que je l’ai construit !
En tout cas, il n’y a rien d’égocentrique, pas de « fierté », je cherche juste du matériel de qualité, et qui me plait, peu importe qui l’a fabriqué.




Comment as-tu appris? As-tu fait des études relatives à ce domaine? Penses-tu qu'un domaine aussi technique soit abordable en tant qu'autodidacte ou est-il nécessaire de faire des études préalables?


Il se trouve que j’ai fait des études de physique, et enseigné les sciences physiques. Mais quand je dis que j’ai pourtant appris en autodidacte, je vois bien que les gens ne me croient pas. « Oh oui, mais ça t’a aidé quand même ». Et bien non, c‘est mal connaître l’enseignement de la physique en France… Tout ce que l’on faisait était extrêmement théorique, et quand j’allais voir mes profs d’électronique en leur disant timidement que j’essayais de bidouiller des amplis à lampes, et comment je pouvais relier ça à ce que l’on apprenait, je voyais leur visage s’étirer dans un soupir du style « oulah, mais ça…. ». Et il a fallu que je me débrouille tout seul, car l’audio est un domaine très spécifique, où la règle est qu’il n’y a pas de règle. Ce qui me convenait bien au fond, ça m’a aidé à relativiser la « Vérité Scientifique ». La pratique contredit quelquefois la théorie en audio, c’est passionnant car on touche presque au philosophique, mais je m’égare…

Bref, je pense que n’importe quelle discipline peut être abordée en autodidacte, du moment où l’on a une vraie motivation à aboutir. Il faut qu’elle soit évidente, chevillée au corps. Les connaissances sont dans les livres, sur le net, et surtout dans les têtes et les mains des personnes qui ont fait ça avant nous. J’ai beaucoup plus appris au contact d’anciens réparateurs de radio, de passionnés qui bidouillaient comme moi, qu’en alignant des équations différentielles du nième degré dans mes études de physique…



Quelle place ont eu internet, les réseaux, les forums, dans l'apprentissage des techniques? Comment fonctionnent-ils?

Internet a eu un rôle prépondérant à l’époque pour moi. En 94, je faisais donc des études de physique, et le réseau n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui. Je n’avais pas de connexion chez moi mais il avait internet dans les salles d’informatique à la fac. Je me souviens que je m’étais laissé enfermer plusieurs nuits dans les locaux pour pouvoir utiliser les ordinateurs. Je passais la nuit sans manger dans le noir, à la lumière des écrans des PC, avec plein de boîtes de disquettes où je téléchargeais fébrilement de précieux schémas et aussi des partitions, avec la peur que quelque gardien me déloge. Ça n’est jamais arrivé, ça donnait un côté film d’espionnage. Ce fut beaucoup d’efforts, et désormais tout ça (et bien plus) est accessible si facilement…

Alors, j’ai pu nouer des contacts avec quelques personnes aux Etats-Unis et au Canada. Là bas, ça semblait naturel pour beaucoup de fabriquer son propre matériel. Enfin je trouvais des interlocuteurs qui ne me prenaient pas pour un extra terrestre. Ces personnes m’ont envoyé quantités de schémas et d’astuces. Ca a été un immense coup de pouce. J’ai appris en quelques mois ce qui m’aurait nécessité des années de galères.

J’utilise toujours beaucoup internet et les forums, mais c’est maintenant si vaste. On trouve vraiment tout... et n’importe quoi. Pour ce qui est de mon domaine, je dois dire que je boycotte en général les forums français qui sont peu ouverts, très égocentrés, et quelquefois à la limite du pathétique.
Je vais être obligé de dire « à l’époque… » (ça y est, je suis vieux), internet était très dépouillé, pas de pub ou si peu, mais peu de sites également. Cela devait être plus compliqué de publier des infos sur le net. Et ce frein faisait certainement que les informations que l’on y trouvait étaient pour la plupart pertinentes.
Aujourd’hui, il y a évidemment bien plus d’informations, et également beaucoup plus d’infos de qualité. Mais toute cette matière est au même niveau que beaucoup d’autre, bien moins intéressante. Internet représente un espace d’exposition fantastique pour tous les égocentrismes plus ou moins justifiés. Il me semble qu’il faut aujourd’hui à l’utilisateur beaucoup plus de libre arbitre et d’esprit critique pour trouver. Et pour un débutant, il est peut-être plus difficile de se faire une idée et de séparer le bon grain de l’ivraie.



Selon toi, ces réseaux servent-ils seulement à la transmission de savoir et savoir-faire utiles, ou ils relèvent aussi d'une alternative (par rapport aux brevets ou aux standards de production de masse par exemple) ?

Encore une fois, c’est ambigu. La production de masse a souvent créé d’excellents produits par le passé. Le marché du vintage le prouve, certains matériels venant de la production de masse se vendent désormais à prix d’or pas seulement par passéisme, mais surtout parce qu’ils sont toujours excellents, et même meilleurs que beaucoup d’actuels. Dans tous les domaines, les ingénieurs avaient pour but une grande qualité de fabrication, utilisaient des matériaux corrects voire très bons, et une possibilité de maintenance était envisagée. Il existait un certain honneur à concevoir un produit beau et bon. Malheureusement, les cahiers des charges ont peu à peu été modifiés pour privilégier le profit financier. Et la production de masse actuelle est devenue d’une médiocrité abyssale, prenant vraiment l’acheteur pour un pigeon.


Dans ce cas, le diy représente évidemment une très bonne alternative. Malheureusement, je vois quelquefois des réalisations diy faites dans une démarche que l’on peut qualifier de politique ou militante, mais qui sont de qualité médiocre. Ce qui m’intéresse, c’est la qualité, la beauté, l’esprit qui va se dégager d’une réalisation. Et si la démarche a en plus un caractère militant, alors là c’est réussi. Mais ça ne doit en aucun cas être l’unique but pour moi. Une réalisation doit avant tout avoir un but pratique, une utilisation pour des gens par des gens. S’il n’y a que le côté « c’est moi qui l’ai fait pour faire pas comm’tout l’monde », bof…

Mais pour l’accessibilité des savoirs, internet est évidemment un outil formidable. Et comme tous les outils, il faut apprendre à le maîtriser. J’ai quelque fois peur d’un phénomène que je remarque avec mes élèves : on sait que l’on est face à une immense somme de connaissances, accessible facilement. Et du coup, on sait qu’elles sont là, mais on ne va pas forcément les chercher, soit parce qu’on est submergé par la quantité, soit parce qu’on n’y trouve pas d’enjeu et qu’il est quelquefois plus amusant de se battre pour aller chercher des infos qui nous seraient cachées.





Que t'évoque le terme de DIY?

Franchement ?... La parodie des Guignols de l’Info sur le «Just Do It » de Nike et Jean Pierre Papin avec ses Air Scholl Papin, et le slogan « Juste Fais Le »… :)


Plus sérieusement, la première fois que j’ai vu ce terme sur des forums, ça m’a un peu fait rigoler. Comme Monsieur Jourdain, c’est ce que j’avais toujours fait sans le savoir, et voici désormais cette démarche vantée sur les médias les plus en pointe ! Il me semble que c’est une démarche ancienne et normale, répandue chez beaucoup de familles modestes. A la campagne, on fabriquait souvent sa maison, des outils, une remorque, etc… Ça a peut-être évolué dans le sens où l’on cherche désormais à produire la qualité que la production de masse ne nous propose plus. Mais je n’aime pas trop réinventer l’eau chaude…

Et quelquefois, face à certaines réalisations, je pense qu’il faudrait vraiment promouvoir le PDDIY (Please Don’t Do It Yourself !...)



Cette pratique est-elle coûteuse? T'apporte-t-elle une rémunération?

Comme je le disais, j’utilise des matériaux de grande qualité, donc très coûteux.  Un ampli me revient très cher, mais si l’on compare à de rares produits équivalents ou proches techniquement, on s’y retrouve financièrement. Quant à m’apporter une rémunération, ce serait plutôt l’inverse, une passion coûteuse !



As-tu déjà pensé à ne faire que ça et arrêter de travailler?

Eh ! Tu crois que ça n’est pas du travail ?!... :)
J’ai dû y penser, mais ça n’a pas duré très longtemps. Plusieurs raisons à cela, d’abord je ne me sentais pas de rester comme un moine dans mon atelier à souder des composants. D’autre part ça ne m’intéresse pas de refaire plusieurs fois le même ampli, ce qui arriverait forcément, je préfère les défis de conception. Et enfin, le passage en activité rémunératrice m’obligerait soit à vendre à des tarifs exorbitants en gardant la même éthique de fabrication, soit à baisser la qualité de mes réalisations pour devenir rentable. Et je n’aime pas beaucoup ces concessions.




Trouves-tu le temps et l'énergie de continuer à jouer de la guitare, de composer... ? (Aaaah, c’est salaud ça Nico !!! :) Est-ce que tes connaissances en matière de construction ont changé ton rapport à la musique, ta manière d'écouter ou de jouer?

Pour répondre à la première question, cette « quête du son » m’a pris énormément de temps, et a bien sûr beaucoup entamé ma pratique de la guitare. Désormais, j’essaie de me consacrer plus à ce qui pourrait devenir « ma » musique. J’ai un peu fait le tour du côté électronique, sans prétention aucune, mais je fais encore quelques conceptions pour m’amuser ou me vider la tête quand je cogite trop, ça me calme.

Et en effet, fabriquer des amplis a totalement changé ma manière d’écouter et de jouer. C’est difficile à décrire, je suis plus dans le son. Quand j’entends un son, un groupe, j’entends le spectre sonore, la dynamique, les harmoniques. Quand je joue, je sais là où je peux appuyer, calmer, aller chercher ceci ou cela.
J’essaie d’aller vers une « connaissance totale », complètement utopique et inatteignable d’ailleurs, du son. J’avais peut-être besoin de ça avant de me consacrer plus à la musique.



Construire un ampli, c'est de l'artisanat ou de l'art?

Woah la question eh !... :)
Euh, j’sais pas, ça ne m’empêche pas de dormir en fait… :) Disons que j’ai eu envie de le faire, je l’ai fait.





-Coping, 2012-