samedi 23 février 2013


Rencontre avec Cyril Bouysse, anciennement professeur de musique au conservatoire de Tulle, acteur de la vie politique et culturelle locale, ami et constructeur d'instruments de musique.










Depuis quand construis-tu des amplis?
Comment en es-tu venu à en construire toi-même? (besoin pratique, volonté d'apprentissage, plaisir de faire soi-même, démarche politique... ?)



En fait ça fait suite à une idée un peu folle de construire une guitare électrique. Vers l’âge de 17 ans, j’ai commencé à chercher des infos sur comment construire la copie d’une guitare de luthier que je trouvais magnifique mais qui m’était totalement inabordable : 30 000 francs ! (pour référence, le SMIC devait être à 4 400 F nets par mois à l’époque). Je me suis mis à en parler à des copains, des proches, et tout le monde s’est gentiment foutu de moi. J’ai mis deux ans à la construire, en essayant de respecter les « règles de l’art » que j’apprenais peu à peu, et j’y suis arrivé.

Ensuite, vers 1996, comme j’avais pris goût à ces défis de construction, j’ai trouvé que ce serait sympa de faire un ampli. Je me suis donc mis en quête d’informations sur l’amplification à lampes, une technologie ancienne, mais qui représentait (et représente toujours) le Saint Graal de l’amplification guitare. J’avais envie de savoir comment tout ça fonctionnait, de maîtriser toute la chaîne du son, et surtout d’avoir du matériel haut de gamme à moindre frais. Depuis, je continue à fabriquer des instruments de musique électroniques, amplis, effets, guitares. Et oui, un ampli est un instrument de musique !

Je dois dire que j’ai toujours voulu faire du mieux que possible. Pour ma guitare, j’avais choisi les meilleurs composants, des matériaux nobles, pour ne faire aucune concession à la qualité. C’est une démarche assez kamikaze, car ça représentait quand même beaucoup d’argent et je n’avais pas le droit à l’erreur. C’est pour cela que j’ai mis du temps à la réalisation. Pour mes amplis, j’ai suivi la même méthode avec cependant un peu plus de recul.
Je ne pouvais pas concevoir ce qui apparaît pourtant comme une démarche logique et beaucoup plus saine : commencer à bidouiller des morceaux de bois sans grande valeur dans un coin en se trompant, en recommençant, etc… Mais je ne conseillerais à personne de suivre ma démarche. L’empirisme reste toujours la meilleure école.



Quelle sensation cela procure-t-il de jouer sur du matériel que tu as construit toi-même?



Ah… question complexe dans mon cas. « Allongez vous, nous allons en parler… »
Quand j’ai construit ma première guitare, je pensais que ça allait être le pied de jouer avec un instrument que j’aurai fabriqué. Et à l’utilisation, il s’est avéré que je préférais jouer sur de vieilles guitares de série. C’est un peu comme si je connaissais trop les guitares que j’ai fabriquées, et je n’ai pas la sensation de recherche sensorielle que je peux avoir avec une guitare que je ne connais pas, et spécialement avec les vieux instruments qui ont chacun une histoire et un toucher différent. Mais c’est peut-être uniquement dans ma tête…
Pour mes amplis et effets, il y a moins ce côté physique, et ça fonctionne mieux. Je préfère vraiment jouer sur mon matériel, car tout simplement je n’en trouve pas d’autre qui me donne ce que j’attends. Et c’est bien pour cela que je l’ai construit !
En tout cas, il n’y a rien d’égocentrique, pas de « fierté », je cherche juste du matériel de qualité, et qui me plait, peu importe qui l’a fabriqué.




Comment as-tu appris? As-tu fait des études relatives à ce domaine? Penses-tu qu'un domaine aussi technique soit abordable en tant qu'autodidacte ou est-il nécessaire de faire des études préalables?


Il se trouve que j’ai fait des études de physique, et enseigné les sciences physiques. Mais quand je dis que j’ai pourtant appris en autodidacte, je vois bien que les gens ne me croient pas. « Oh oui, mais ça t’a aidé quand même ». Et bien non, c‘est mal connaître l’enseignement de la physique en France… Tout ce que l’on faisait était extrêmement théorique, et quand j’allais voir mes profs d’électronique en leur disant timidement que j’essayais de bidouiller des amplis à lampes, et comment je pouvais relier ça à ce que l’on apprenait, je voyais leur visage s’étirer dans un soupir du style « oulah, mais ça…. ». Et il a fallu que je me débrouille tout seul, car l’audio est un domaine très spécifique, où la règle est qu’il n’y a pas de règle. Ce qui me convenait bien au fond, ça m’a aidé à relativiser la « Vérité Scientifique ». La pratique contredit quelquefois la théorie en audio, c’est passionnant car on touche presque au philosophique, mais je m’égare…

Bref, je pense que n’importe quelle discipline peut être abordée en autodidacte, du moment où l’on a une vraie motivation à aboutir. Il faut qu’elle soit évidente, chevillée au corps. Les connaissances sont dans les livres, sur le net, et surtout dans les têtes et les mains des personnes qui ont fait ça avant nous. J’ai beaucoup plus appris au contact d’anciens réparateurs de radio, de passionnés qui bidouillaient comme moi, qu’en alignant des équations différentielles du nième degré dans mes études de physique…



Quelle place ont eu internet, les réseaux, les forums, dans l'apprentissage des techniques? Comment fonctionnent-ils?

Internet a eu un rôle prépondérant à l’époque pour moi. En 94, je faisais donc des études de physique, et le réseau n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui. Je n’avais pas de connexion chez moi mais il avait internet dans les salles d’informatique à la fac. Je me souviens que je m’étais laissé enfermer plusieurs nuits dans les locaux pour pouvoir utiliser les ordinateurs. Je passais la nuit sans manger dans le noir, à la lumière des écrans des PC, avec plein de boîtes de disquettes où je téléchargeais fébrilement de précieux schémas et aussi des partitions, avec la peur que quelque gardien me déloge. Ça n’est jamais arrivé, ça donnait un côté film d’espionnage. Ce fut beaucoup d’efforts, et désormais tout ça (et bien plus) est accessible si facilement…

Alors, j’ai pu nouer des contacts avec quelques personnes aux Etats-Unis et au Canada. Là bas, ça semblait naturel pour beaucoup de fabriquer son propre matériel. Enfin je trouvais des interlocuteurs qui ne me prenaient pas pour un extra terrestre. Ces personnes m’ont envoyé quantités de schémas et d’astuces. Ca a été un immense coup de pouce. J’ai appris en quelques mois ce qui m’aurait nécessité des années de galères.

J’utilise toujours beaucoup internet et les forums, mais c’est maintenant si vaste. On trouve vraiment tout... et n’importe quoi. Pour ce qui est de mon domaine, je dois dire que je boycotte en général les forums français qui sont peu ouverts, très égocentrés, et quelquefois à la limite du pathétique.
Je vais être obligé de dire « à l’époque… » (ça y est, je suis vieux), internet était très dépouillé, pas de pub ou si peu, mais peu de sites également. Cela devait être plus compliqué de publier des infos sur le net. Et ce frein faisait certainement que les informations que l’on y trouvait étaient pour la plupart pertinentes.
Aujourd’hui, il y a évidemment bien plus d’informations, et également beaucoup plus d’infos de qualité. Mais toute cette matière est au même niveau que beaucoup d’autre, bien moins intéressante. Internet représente un espace d’exposition fantastique pour tous les égocentrismes plus ou moins justifiés. Il me semble qu’il faut aujourd’hui à l’utilisateur beaucoup plus de libre arbitre et d’esprit critique pour trouver. Et pour un débutant, il est peut-être plus difficile de se faire une idée et de séparer le bon grain de l’ivraie.



Selon toi, ces réseaux servent-ils seulement à la transmission de savoir et savoir-faire utiles, ou ils relèvent aussi d'une alternative (par rapport aux brevets ou aux standards de production de masse par exemple) ?

Encore une fois, c’est ambigu. La production de masse a souvent créé d’excellents produits par le passé. Le marché du vintage le prouve, certains matériels venant de la production de masse se vendent désormais à prix d’or pas seulement par passéisme, mais surtout parce qu’ils sont toujours excellents, et même meilleurs que beaucoup d’actuels. Dans tous les domaines, les ingénieurs avaient pour but une grande qualité de fabrication, utilisaient des matériaux corrects voire très bons, et une possibilité de maintenance était envisagée. Il existait un certain honneur à concevoir un produit beau et bon. Malheureusement, les cahiers des charges ont peu à peu été modifiés pour privilégier le profit financier. Et la production de masse actuelle est devenue d’une médiocrité abyssale, prenant vraiment l’acheteur pour un pigeon.


Dans ce cas, le diy représente évidemment une très bonne alternative. Malheureusement, je vois quelquefois des réalisations diy faites dans une démarche que l’on peut qualifier de politique ou militante, mais qui sont de qualité médiocre. Ce qui m’intéresse, c’est la qualité, la beauté, l’esprit qui va se dégager d’une réalisation. Et si la démarche a en plus un caractère militant, alors là c’est réussi. Mais ça ne doit en aucun cas être l’unique but pour moi. Une réalisation doit avant tout avoir un but pratique, une utilisation pour des gens par des gens. S’il n’y a que le côté « c’est moi qui l’ai fait pour faire pas comm’tout l’monde », bof…

Mais pour l’accessibilité des savoirs, internet est évidemment un outil formidable. Et comme tous les outils, il faut apprendre à le maîtriser. J’ai quelque fois peur d’un phénomène que je remarque avec mes élèves : on sait que l’on est face à une immense somme de connaissances, accessible facilement. Et du coup, on sait qu’elles sont là, mais on ne va pas forcément les chercher, soit parce qu’on est submergé par la quantité, soit parce qu’on n’y trouve pas d’enjeu et qu’il est quelquefois plus amusant de se battre pour aller chercher des infos qui nous seraient cachées.





Que t'évoque le terme de DIY?

Franchement ?... La parodie des Guignols de l’Info sur le «Just Do It » de Nike et Jean Pierre Papin avec ses Air Scholl Papin, et le slogan « Juste Fais Le »… :)


Plus sérieusement, la première fois que j’ai vu ce terme sur des forums, ça m’a un peu fait rigoler. Comme Monsieur Jourdain, c’est ce que j’avais toujours fait sans le savoir, et voici désormais cette démarche vantée sur les médias les plus en pointe ! Il me semble que c’est une démarche ancienne et normale, répandue chez beaucoup de familles modestes. A la campagne, on fabriquait souvent sa maison, des outils, une remorque, etc… Ça a peut-être évolué dans le sens où l’on cherche désormais à produire la qualité que la production de masse ne nous propose plus. Mais je n’aime pas trop réinventer l’eau chaude…

Et quelquefois, face à certaines réalisations, je pense qu’il faudrait vraiment promouvoir le PDDIY (Please Don’t Do It Yourself !...)



Cette pratique est-elle coûteuse? T'apporte-t-elle une rémunération?

Comme je le disais, j’utilise des matériaux de grande qualité, donc très coûteux.  Un ampli me revient très cher, mais si l’on compare à de rares produits équivalents ou proches techniquement, on s’y retrouve financièrement. Quant à m’apporter une rémunération, ce serait plutôt l’inverse, une passion coûteuse !



As-tu déjà pensé à ne faire que ça et arrêter de travailler?

Eh ! Tu crois que ça n’est pas du travail ?!... :)
J’ai dû y penser, mais ça n’a pas duré très longtemps. Plusieurs raisons à cela, d’abord je ne me sentais pas de rester comme un moine dans mon atelier à souder des composants. D’autre part ça ne m’intéresse pas de refaire plusieurs fois le même ampli, ce qui arriverait forcément, je préfère les défis de conception. Et enfin, le passage en activité rémunératrice m’obligerait soit à vendre à des tarifs exorbitants en gardant la même éthique de fabrication, soit à baisser la qualité de mes réalisations pour devenir rentable. Et je n’aime pas beaucoup ces concessions.




Trouves-tu le temps et l'énergie de continuer à jouer de la guitare, de composer... ? (Aaaah, c’est salaud ça Nico !!! :) Est-ce que tes connaissances en matière de construction ont changé ton rapport à la musique, ta manière d'écouter ou de jouer?

Pour répondre à la première question, cette « quête du son » m’a pris énormément de temps, et a bien sûr beaucoup entamé ma pratique de la guitare. Désormais, j’essaie de me consacrer plus à ce qui pourrait devenir « ma » musique. J’ai un peu fait le tour du côté électronique, sans prétention aucune, mais je fais encore quelques conceptions pour m’amuser ou me vider la tête quand je cogite trop, ça me calme.

Et en effet, fabriquer des amplis a totalement changé ma manière d’écouter et de jouer. C’est difficile à décrire, je suis plus dans le son. Quand j’entends un son, un groupe, j’entends le spectre sonore, la dynamique, les harmoniques. Quand je joue, je sais là où je peux appuyer, calmer, aller chercher ceci ou cela.
J’essaie d’aller vers une « connaissance totale », complètement utopique et inatteignable d’ailleurs, du son. J’avais peut-être besoin de ça avant de me consacrer plus à la musique.



Construire un ampli, c'est de l'artisanat ou de l'art?

Woah la question eh !... :)
Euh, j’sais pas, ça ne m’empêche pas de dormir en fait… :) Disons que j’ai eu envie de le faire, je l’ai fait.





-Coping, 2012-

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